Plasticien, photographe, musicien... Trois générations d'artistes, trois habitants de notre quartier.

Jean-Louis Boudet fut un plasticien renommé, formé à l’École des Beaux-Arts de Marseille, puis à l’École Boulle (École Supérieure des Arts Appliqués de Paris). Il est décédé depuis peu, en déc 2022, il avait 87 ans.

Peintre et sculpteur mais plus que ça aussi. Comment décrire en peu de mots la richesse de son travail ?

La maîtrise du mouvement, de l'énergie, le choix et l'assemblage de matières, prouvent les qualités de l'artiste mais aussi celles de l'artisan, féru de technologie et fin connaisseur des matériaux qu'il utilisait. C'est beau mais pas que... Certaines œuvres sont intrigantes, questionnantes (comme ce bois "rouillé" qu'on imagine métal), la plupart sont fascinantes. Des enchevêtrements, du plein et du vide, des équilibres... J'ai ressenti devant plusieurs œuvres un effet apaisant. Par quel secret ?  Le choix des matériaux ? Des couleurs (des bleus, des verts, des bruns au plus près de la nature) ? Ou le geste de l'artiste ? Un art abstrait mais où chacun peut s'engouffrer, ouvert à tous les imaginaires et qui résonne avec quelque chose d'intime et de profond en nous.

Postulant aux commandes publiques, Jean-Louis Boudet a largement contribué à ces œuvres d'art monumentales offertes à la vue de tous, y compris à celles et ceux qui fréquentent peu les musées (pour un groupe scolaire à Martigues ou à Fos-sur-Mer, sur un carrefour à Marignane ou pour l'habillage d'une ligne de métro à Marseille), créant à chaque fois des œuvres originales et veillant à ce qu'elles s’intègrent au mieux à l'architecture et à l'environnement. Si certaines de ces œuvres ont été déconstruites, beaucoup sont toujours visibles comme par exemple le monument Gyptis et Protis qui se trouve devant le CNTL au Vieux Port, l’entrée du métro Dromel ou le mur des noms à la grande synagogue rue Breteuil pour ne citer que Marseille. Sans compter les acquisitions faites par le MAC et le Musée Cantini.

Jean-Louis Boudet vivait Chemin du Roucas Blanc mais travaillait presque tous les jours dans son atelier rue Perlet. S'il a longtemps privilégié la sculpture, il disait que " le désir de peindre s'est imposé peu à peu". Mais là encore, avec moult recherches de couleurs et de matériaux : bois, zinc, toile de lin... qu'il peignait, raclait, griffait... faisant preuve jusqu'au dernier jour de créativité et d'une absolue liberté.

Fille de Jean-Louis Boudet (et de Françoise Novel, professeur de dessin), Angélique Boudet a plusieurs cordes à son arc. Fascinée depuis toujours par les images, elle se projetait monteuse de film. La rencontre avec Yves Gallois, un ami de ses parents, lui fait découvrir le côté technique de la photographie : prise de vue, labo. De stage en CAP, la voilà photographe. Alors qu'elle fait un job alimentaire à Bastille à la fois pour Radio Nova et Actuel, elle croise le compagnon de Ellen Von Unwerth. Mannequin, puis photographe de mode, shootant de grandes vedettes comme Claudia Schiffer, Kate Moss ou Vanessa Paradis, celle-ci cherche une tireuse. Angélique Boudet fera plus de 100 tirages certains jours, ces petits tirages de lecture noir et blanc qui servent d'outil de travail avant publication. Pour cette même photographe, elle fera aussi de l'editing, ayant été chargée de choisir parmi les milliers de tirages archivés à Paris, Berlin et New York, les 350 photos de l'impressionnant ouvrage Fräulein, publié en 2011 par les éditions Taschen.

En parallèle, sa rencontre avec le yoga en 2000, lui a, dit-elle, changé la vie. Respiration, force intérieure, engagement, c'est une nouvelle étape. Alliant ses deux passions, le yoga (qu'elle pratique et enseigne) et la photo, elle publie Om, the world of Ashtanga yogis en 2016.

Quittant le labo pour sa propre photographie d'auteur, Angélique Boudet participe avec 3 titres aux coffrets d'images format carte postale, publiés par les éditions marseillaises Images Plurielles : Les arbres, Le bonheur et Bords de mer. Puis toujours avec Images Plurielles, elle publie en 2023 Space un livre qui associe ses images terriennes, douces, poétiques, prises dans divers coins du monde à des phrases de cosmonautes qui ont vu notre Terre de loin. La connexion est évidente et l'émotion est réelle.  Plus récemment, on peut aussi retrouver quelques unes de ses photos dans le petit livre collectif Marseille, hasards révélés, publié en 2024 par les éditions Photo#graphie. Un lien à la fin de l’article permet d’accéder à son site.

Fils d'Angélique Boudet (et de  Benoît Parent, artisan menuisier, une autre forme d'art), Neil Parent-Boudet est pianiste. Il n'a que 19 ans mais déjà un sacré talent. Il ne sait plus d'où lui vient son attirance pour la musique et je me plais à imaginer que c'est peut-être grâce à la fête de la musique que nous organisions une fois par an dans l'école primaire qu'il fréquentait alors. Les enfants musiciens quel que soit leur niveau de pratique s'inscrivaient pour jouer ou chanter, seul ou à plusieurs, un très court morceau devant toute l'école réunie. Grande fierté et vraie émotion. Lorsque Neil a interprété un morceau qu’il avait lui-même composé, nous sommes restés béats et un peu incrédules. Et pourtant, à 8 ou 9 ans, il jouait magnifiquement et était capable déjà de composer et d’improviser.

Il a participé à beaucoup de groupes de jazz (au piano mais aussi à la contrebasse) mais il trouve que jouer en public est assez stressant. Il privilégie à présent le classique. Diplômé du Conservatoire, il continue sa formation. En musique aussi, il existe un master et un doctorat. Il adore travailler avec les autres, écouter, découvrir leur jeu. Et en même temps défendre ses idées car il y a mille manières d'interpréter à condition que ce soit réfléchi et assumé. En tout cas, l'écouter parler de Ravel (complexe à jouer, délicatesse et précision, de l’horlogerie), de Rachmaninov (tellement novateur) ou de Bach (des voix qui s'entremêlent) est passionnant. 

Oreilles et yeux grands ouverts, je l'ai admiré interpréter un extrait de Ondine de Ravel . Et j'ai été très impressionnée par le fait qu'il joue sans partition un morceau aussi complexe et riche. Il m'a expliqué qu'il y a plusieurs formes de mémoires qui rentrent en jeu : mécanique (par le geste), analytique (par l'étude du morceau), auditive (quand il joue un morceau, il le chante dans sa tête) et visuelle (la mémoire de la partition). Une autre question me titillait : comment fait-on, lorsqu'on joue 6 à 8 h par jour d'un instrument, pour que ce "jeu" reste du plaisir et non un travail qui finit par peser. "J'ai commencé à jouer du piano en m'amusant, dit-il, mais je me suis vite rendu compte que si je voulais aller plus loin il fallait beaucoup de travail". Et la passion a fait le reste.

Oserai-je dire qu'il y a, comme chez son grand-père, en plus du talent artistique, une rigueur, une connaissance de la matière et en même temps une infinie liberté ?

A bientôt pour un prochain article :)
Pour le CIQ
Aline

Le 20 janvier 2025

http://www.angeliqueboudet.tumblr.com