Lorsque j'ai tenté de mettre sur pied une bibliothèque autogérée, l'une de nos adhérentes m'a mis en relation avec une habitante du quartier. Vous devez absolument la rencontrer, m'a-elle dit, c'est elle qui a créé la bibliothèque qui existait autrefois et qui a été supprimée. Cette dame a accepté de me recevoir, c'est donc elle qui inaugure ce nouveau cycle d'articles.
Nicole Avon est une dame de 85 ans élégante et chaleureuse. Non seulement elle a tenu la bibliothèque du quartier pendant plus de 15 ans mais c'est elle effectivement qui l'a initiée et montée.
Autrefois antiquaire à Paris, Nicole Avon est arrivée à Marseille dans les années soixante. Elle aimait la vie parisienne, sa richesse culturelle, les petits commerces de bouche au pied de chez elle, les déplacements si faciles... Mais son mari, qui exerçait dans les travaux publics, fut envoyé à Marseille pour construire l'autoroute entre Marseille et Toulon et... ne voulut plus jamais en repartir. Ils ont d'abord habité au Vallon des Auffes, puis se sont installés dans notre quartier en 1981.
Nicole Avon s'occupa de ses deux enfants et très vite s'engagea dans des actions bénévoles.
Ce fut d'abord à l'IPC (l'Institut anti-cancéreux Paoli Calmette) où oeuvrait déjà l'une de ses amies. Toutes deux ont tenu le rôle de bibliothécaires. Elles sélectionnaient des magazines et des livres en prenant soin d'en avoir pour tous les goûts, remplissaient un chariot et se déplaçaient de chambre en chambre, là où bien sûr on leur permettait d'aller. La chef de service, réticente au début, comprit très vite les bienfaits d'une telle démarche. Car au delà du prêt de livres, Nicole et son amie prenaient le temps d'échanger, y compris avec des patients trop fatigués pour lire. Certains malades étaient très seuls et "lorsque l'un d'eux avait besoin de quelque chose, je me débrouillais toujours pour le lui apporter" me confie-t-elle. Une expérience qu'elle arrêta pour des raisons familiales mais qui dura plusieurs années.
Grande lectrice, elle participa activement à la vie de l'OCB (Office central des bibliothèques) en conseillant des lectures, des achats de livres, en rédigeant des fiches et en participant aux réunions.
C'est donc naturellement et forte de ses compétences qu'elle s'attela un jour à monter une bibliothèque dans notre quartier. Qui en a eu l'idée ? Elle ou d'autres, elle ne s'en souvient plus. Mais le projet fut validé et soutenu par le CIQ que présidait alors Nicole Richaud.
Et ce fut un énorme boulot ! Il fallut choisir des livres au Centre des bibliothèques rue Grignan, les empiler dans des cartons, les transporter ("j'ai tout fait avec ma voiture"), les répertorier et les étiqueter. Et comme les livres étaient recouverts d'un plastique transparent spécial qui tenait très bien, elle les désinfectait en les passant à l'alcool après chaque emprunt. "L'OCB était très exigeant, il fallait prendre le plus grand soin des livres". Pour toutes ces tâches, Nicole Avon se fit aider par des amis, des voisins mais ce fut elle le pilier.
Elle assura avec la même énergie et la même constance la gestion des emprunts et des retours. Là encore, elle se fit aider mais elle se retrouvait parfois seule. Et pas seulement une fois tous les 15 jours comme nous l'avons proposé il y a quelques mois dans notre projet. Cette bibliothèque fonctionna dans les locaux du CMA trois fois par semaine, avec des horaires différents selon les jours pour pouvoir convenir au plus grand nombre.
C'était l'occasion d'échanges. Et même si ses livres préférés en tant que lectrice étaient essentiellement les romans et les biographies, Nicole Avon ne se contentait pas d'enregistrer les noms et les titres ; elle conseillait, orientait, racontait. Presqu'un travail de professionnelle ! "Ce qui était bien, ajoute Yvette Younsi présente lors de notre entretien, c'est que dans chaque livre, au verso de la couverture, était collé un papier où on écrivait le nom de chaque emprunteur et la date ; ça permettait de savoir si un livre avait été beaucoup emprunté ou pas, et par qui.Ça aussi, ça créait du lien. On discutait".
A ma question sur la fréquentation, Nicole Avon reconnait qu'il y avait plus de femmes que d'hommes parmi les emprunteurs et beaucoup de retraités. Mais des lecteurs plus jeunes venaient aussi, attirés notamment par le rayon BD. "Le coin des enfants n'a lui jamais vraiment marché". Et pourtant, ils aiment toujours qu'on leur lise des histoires ! On a bien vu comment ils étaient heureux et attentifs autour de Marie Fabre, en mai dernier, lors de notre première rencontre littéraire.
"Tout le monde venait à pied, et quand une voisine malade ne pouvait pas se déplacer, je n'hésitais pas à lui apporter des livres, je connaissais les goûts de chacun", se remémore Nicole. "Tu étais vraiment dévouée", ajoute Yvette, l'amie fidèle.
Nicole Avon a tenu ce rôle pendant plus de 15 ans et, quand elle s'est arrêtée à cause de problèmes de santé, personne malheureusement n'a repris la suite. Et puis, il y a eu le COVID... Le CIQ lui-même n'a plus eu ou presque plus d'activité. Et les livres, restés sur les étagères et qui n'étaient plus empruntés par personne, furent distribués à ceux qui les voulaient. Sans que la nouvelle équipe du CIQ en soit informée...
Nicole Avon, qui s'est tant démenée pour animer le quartier, regrette l'esprit de village qu'il y avait autrefois. Dans sa rue et dans les rues alentours, tout le monde se connaissait. "On se rendait des services. Si la voisine avait un souci, ses enfants venaient goûter chez moi. Et quand une voiture passait, elle ralentissait forcément, on se disait bonjour, on se donnait des nouvelles. On est encore quelques uns à bien s'entendre et à s'entraider. Mais maintenant les mentalités ont changé. Beaucoup sont des nouveaux riches, avec de grosses voitures qui roulent trop vite, des maisons qui se barricadent..." Autrefois tout n'était pas loti. Le propriétaire du château possédait de grandes serres et son immense parc était ouvert. Il y avait même une zone en friche. "Pour les enfants, c'était un terrain de jeux fabuleux. C"était un quartier vraiment extraordinaire. A travers les grilles des maisons, on apercevait la mer et surtout des jardins. Maintenant, on ne voit plus rien, que des murs, des barrières closes. Ou des garages."
Plus de bibliothèque donc et beaucoup moins de lectures. Nicole Avon souhaiterait bien sûr continuer à lire mais l'âge aidant, c'est plus fatigant et cela lui donne des migraines. Elle avoue qu'elle n'a jamais essayé les livres audio; elle aime tellement le contact du livre, tourner les pages, revenir en arrière... Alors elle joue au scrabble au CMA le mardi après-midi ou chez elle avec Yvette comme le jour où je suis venue.
A bientôt pour un prochain article
Pour le CIQ
Aline
Le 5 mars 2024