Il s'agit d'un monsieur qui vit et travaille dans notre quartier. Lorsque je l'ai sollicité, je ne connaissais pas son nom. Et pourtant cela faisait des années que je le croisais, presque toujours au même endroit, à planter, tailler, entretenir avec tellement de soin et de délicatesse un coin de verdure et de fleurs devant un petit immeuble près de la place du Terrail. Je croyais qu'il était jardinier. Quelle bonne idée j'ai eu de l'interviewer !

Il s'appelle Eduardo de Susa Reis. Grâce aux recherches de l'un de ses cousins germains, il a appris l'origine de son nom. Son 5ème arrière grand-père était cocher des rois du Portugal. Le Portugal incluant alors le Mozambique, l'Angola et la Guinée qui étaient des colonies portugaises...

Eduardo a vécu sa jeunesse au Portugal. Dès l'âge de 12 ans, dès qu'il avait quelques sous en poche, il allait au cinéma. Et son grand plaisir était de pouvoir "écouter la langue française". Il ne sait pas d'où lui vient cette attirance mais il était sûr qu'un jour il irait en France.

Eduardo a d'abord été responsable d'une papeterie/bureau de tabac à Lisbonne mais, comme il aimait beaucoup travailler de ses mains, il a appris la gravure et est devenu taille-doucier (la taille-douce est une forme de gravure) ; il fabriquait notamment ce relief très spécial que l'on peut voir sur certaines cartes de visite. En 1970, il est venu vivre en France et a travaillé d'abord 3 ans chez un imprimeur lyonnais, puis un mois chez un autre imprimeur à Paris. Mais la mer lui manquait trop ; il est descendu à Marseille et a œuvré dans l'atelier Rhône (en face de la clinique Périer) pendant presque 25 ans. Pendant que sa femme Elvira secondait Gisèle Pergola, notre ancienne boulangère.

C'est à la papeterie qu'Eduardo a rencontré sa bien aimée. La jeune fille, qui n'avait alors que 16 ans, était employée de maison. Et avant ça, elle avait travaillé dur dès l'âge de 9 ou 10 ans. Son père était berger, sa mère aidait souvent des paysans aux travaux des champs et il fallait subvenir à une famille de 8 enfants. Aussi, malgré l'insistance de la maîtresse qui voulait que sa jeune élève, au vu de ses excellents résultats, puisse continuer l'école, Elvira dut tout arrêter. Pendant plusieurs années, tout comme sa mère, elle dut notamment transporter sur sa tête pendant des kilomètres des bonbonnes d'huile ou de miel qui pesaient, cela parait insensé, jusqu'à 25 kg et qui lui ont occasionné ensuite bien des soucis au dos. Derrière les images exotiques de certaines traditions qu'on peut idéaliser en tant que touriste, il est utile de connaître les dures réalités du travail des femmes ou des enfants.

Eduardo et Elvira se sont fiancés à Lisbonne mais, à cette époque, une jeune fille ne sortait pas du Portugal sans être mariée. Ils se sont écrit pendant presque 5 ans avant de pouvoir se retrouver ici. 

Elvira a toujours aimé rendre service. Et lorsque des voisins âgés qu'elle aidait ont eu besoin de quelqu'un pour s'occuper de leur jardin, Eduardo a prêté la main. Et c'est en voyant la façon magnifique dont il s'est occupé de ce jardin, qu'un habitant du 245 chemin du Roucas Blanc l'a sollicité pour prendre en charge le jardin de la copropriété, moyennant rétribution cette fois.

De la taille douce à la taille des fleurs, pas étonnant qu'on le voit si méticuleux ! Mais ce n'est pas tout, Eduardo a pratiqué d'autres formes de taille. En voyant sa tante faire de la couture, il a eu envie d'apprendre et s'est formé auprès de deux tailleurs à Lisbonne. Et il n'est pas peu fier d'avoir, avec sa femme, coupé et cousu la robe de communion de leur fille.

Fidèle de la paroisse Saint Antoine, il s'est lié au père Brunel qui lui a proposé un jour de l'aider à l'installation de la crèche. Eduardo y mettait beaucoup de lui et se débrouillait si bien qu'un jour le père Brunel décida de le laisser complètement faire. La crèche devint son ouvrage et cela dure depuis 40 ans ! Et quelle œuvre ! Elle est chaque année plus élaborée, plus riche, plus belle. Saviez-vous qu'Eduardo a obtenu le 1er prix de la crèche provençale ? Des mousses, du romarin de Rians et d'autres herbes sauvages, des rameaux d'olivier qu'on lui donne ou qu'il récolte. Des santons toujours plus nombreux, certains qu'on lui offre mais beaucoup qu'il achète. Il en a à ce jour plus de 250, d'ici mais aussi du Portugal parce que, dit-il, "la manière de fabriquer les moutons est plus jolie là-bas."  Eduardo est un esthète ; chaque année, il passe des soirées entières à élaborer la crèche et, si le résultat ne lui plaît pas, ce travailleur infatigable et perfectionniste est capable de tout défaire pour recommencer autrement.

Un esthète et un sensible, fier de ses enfants et petits-enfants dont il m'a parlé longuement. Un homme de cœur qui aime les gens. Parce qu'il aime communiquer, en plus du portugais, de l'espagnol et du français, il a appris un peu d'anglais et d'arabe. Un homme attaché à son quartier même si, comme beaucoup, il regrette le temps où les gens se côtoyaient davantage et se disaient tout simplement bonjour. 

Puissent mes articles et plus largement notre travail au CIQ contribuer à créer ou recréer ces liens. 

Chaque année, la crèche de l'église Saint Antoine est ouverte et visible par tous le 1er dimanche de l'avent, puis chaque samedi de 15h à 17h jusqu'à la Chandeleur. C'est à dire pendant les 2 mois de décembre et janvier. Qu'on se le dise !

A bientôt pour un prochain article
Pour le CIQ
Aline
Le 26 septembre 2024